mardi 13 avril 2010

Sur le site du Journal Le Monde

Point de vue

Vous avez dit "privilèges exorbitants" ? par Daniel Annequin, Sylvain Balester...


La chambre régionale des comptes d'Ile-de-France (qui n'est pas la Cour des comptes) a publié le 18 février 2010 un rapport sur les hôpitaux de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) dont la presse s'est fait l'écho en oubliant la réponse du directeur général relevant un certain nombre d'erreurs factuelles. En ces temps de rumeurs, il nous paraît essentiel de revenir aux faits.L
1. "Médecins. 500 postes de plus que dans les autres CHU" : Faux !
Il n' y a pas plus de médecins à l'AP-HP de Paris qu'à l'AP de Marseille et aux Hospices civils de Lyon. En effet, il faut comparer ce qui est comparable, non pas l'Assistance publique de Paris avec l'ensemble des hôpitaux publics, mais avec des hôpitaux ayant une taille, des missions et des contraintes comparables. En 2008, les Hospices civils de Lyon comprenaient 4 079 lits d'hospitalisation complète ; l'Assistance publique de Marseille, 2 800 lits ; l'AP-HP, 21 458 lits. Il y avait, d'après les statistiques officielles, un médecin pour 2,52 lits à Marseille, 1 pour 2,87 lits à Lyon, 1 pour 2,91 lits à l'AP-HP. Donc un petit peu moins à Paris !
2. "Le coût du personnel médical est très variable d'un établissement à l'autre. De 34 693 euros par lit à Mondor (Créteil) à 55 188 euros à Pompidou (HEGP), qui ont des structures d'activités comparables" : Faux !
Le rapport note que le groupe hospitalier Mondor n'a pas la même structure d'activités,"ayant des services de soins de suite de rééducation et de psychiatrie moins consommateurs de temps médical que le court séjour"(Page 28 du rapport) La vérité est d'ailleurs que la psychiatrie du groupe hospitalier Mondor (120 lits aigus) est très notoirement sous-dotée. De plus, la réponse de l'Assistance Publique (page 12) insiste sur le fait que l'HEGP a été pénalisé en 2007 par la fermeture pendant cinq mois de 70 lits d'hospitalisation complète à la suite d'un incendie survenu le 14 août.
3. "Des agents trop nombreux. près de 20 000 emplois à plein temps de plus que l'effectif correspondant à la part d'activité de l'AP-HP. Si on compare aux seuls CHU, l'écart est encore de 9 % pour les soignants, 10 % pour les personnels administratifs, dont 40 % pour les personnels de direction" : Faux !
Car il faudrait, là encore, comparer ce qui est comparable, c'est-à-dire l'AP-HP de Paris avec l'AP de Marseille et les hôpitaux de Lyon. Surtout, cette comparaison doit se faire à activité constante. Rapporté au nombre de journées d'hospitalisation et non plus au nombre de lits, "l'écart n'est plus que de 1,2 % au bénéfice de l'AP-HP par rapport aux autres CHU". (Page 25 de la réponse de l'AP-HP) Sachant que les chiffres cachent souvent des réalités disparates. Est-il pertinent de mettre dans le même sac les infirmières qui travaillent aux urgences, en réanimation, en pédiatrie, en gériatrie, en hôpital de jour, en hospitalisation classique, en consultation, etc. ? Reste un nombre plus important de personnel administratif de direction, qu'il faudrait comparer aux 170 directeurs de Lyon et aux 87 de Marseille. Quoi qu'il en soit, la sur-administration de l'AP-HP est connue et critiquée.
4. "Des hôpitaux désertés l'après-midi. A Pompidou, les effectifs chutent, passant de plus de 1 052 à 77 personnes"La différence semble effectivement stupéfiante ! Elle s'explique simplement par le chiffre oublié de personnels affectés à la grande équipe qui couvre matin et après-midi, soit 1 047. (Page 36 du rapport)
5. "Des plannings en yo-yo. A la fin 2008, à Mondor en médecine interne, le nombre de soignants a varié selon les jours de 8 à 4, indépendamment de l'activité"Faux !
Le chef de service de médecine interne de Mondor, le Pr Bertrand Godeau, après vérification, affirme que ces chiffres sont inexacts. Il s'étonne que les rapporteurs n'aient pas trouvé utile de contacter les responsables de son service pour obtenir des explications.
6. "Un absentéisme élevé". En réalité, "l'absentéisme pour raison médicale de l'AP-HP est de 8,39 % pour l'année 2007. Il n'est pas satisfaisant, mais il est inférieur à la grande majorité des autres CHU, soit 18,29 jours par an pour l'AP-HP, mais 19,34 jours pour Lyon, 18,87 jours pour Bordeaux, 19,45 jours pour Strasbourg, 19,59 jours pour Tours, 20,48 jours pour l'AP de Marseille, 21,80 jours pour le CHU de Rouen". Certes, cet absentéisme doit être combattu. Il serait bon aussi de s'interroger sur ses causes. 

Conclusion : Certes, tout n'est pas faux dans le rapport de la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France, notamment concernant l'insuffisante transparence de l'activité médicale et l'inégale efficience d'un hôpital à l'autre, mais il s'agit à l'évidence d'un rapport à charge, largement biaisé. On se demande s'il n'a pas été fait pour justifier sa conclusion. "Le résultat comptable prévisionnel ne pourrait être atteint qu'au prix d'une réduction effective des effectifs non médicaux", ce qui permet opportunément aujourd'hui au directeur général de déclarer : "La direction générale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris estime que les conclusions du rapport de la chambre régionale des comptes conforte le bien-fondé des réformes engagées par l'institution." Ainsi, pour obéir aux injonctions du ministère, le directeur en vient à contredire sa propre réponse au rapport.

Signataires : Daniel Annequin, Sylvain Balester, Marie-Paule Chauveheid, Nathalie De Castro, Jean-Pascal Devailly, Anne Gervais, Julien Haroche, Laurent Heyer, Matthieu Lafaurie, Pierre-François Pradat, Julie Peltier, François Salachas, Christophe Trivalle, praticiens hospitaliers
Albert Bensman, Marie-Germaine Bousser, Loïc Capron, Denis Devictor, Jean-Charles Deybach, Noël Garabédian, Alain Gaudric, Bernard Granger, André Grimaldi, Olivier Lyon-Caen, Christian Richard, Laurent Sedel, Marie-Paule Vazquez, Jean-Paul Vernant, professeurs des universités, praticiens hospitaliers
Philippe Lahore, Marie-Paule Paquier, cadres supérieurs de santé

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